Commencements by Catherine Millet

Commencements by Catherine Millet

Auteur:Catherine Millet [Catherine Millet]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Flammarion
Publié: 2022-08-30T22:00:00+00:00


À notre retour, il y avait vacance dans les pages Arts des Lettres françaises. Je proposai à Boudaille une enquête qui présenterait les jeunes artistes que les galeries s’apprêtaient à exposer la saison suivante. Chaque semaine, pendant les mois d’août et de septembre, sous le titre « Jeune Peinture : millésime 69 », j’ai ainsi rempli deux et parfois trois pages grand format. Quand c’était possible, je visitais les ateliers, sinon je prenais rendez-vous avec les directeurs de galerie. Je ne suis pas certaine qu’il y ait eu tellement de précédent à ce genre de reportage dans Les Lettres françaises, les gens n’avaient pas l’habitude de voir arriver chez eux un journaliste avec sa liste de questions pour les faire parler non pas de ce qu’ils présentaient, mais de leurs projets. Ils me regardaient parfois avec méfiance, considérant que j’étais une nouveauté du monde moderne qui venait déranger un monde à part depuis toujours. Ils me prévenaient : les peintres n’étaient pas des vedettes de cinéma, ils n’avaient rien à raconter, leurs tableaux parlaient pour eux, etc. Ma bonne mine et sans doute paradoxalement ma réserve m’aidaient à forcer le barrage et, traîtreusement, pour agrémenter mes articles, j’évoquais les manières qu’ils me faisaient. Geneviève Claisse m’ouvre la porte avec un ballon de plage dans les bras (elle ne peint alors que des cercles aux couleurs vives), puis je dois l’aider à éponger l’inondation provoquée par la machine à laver (elle se tient loin, m’explique-t-elle, de l’art cinétique qui a recours à des moteurs) ; Alain Le Yaouanc s’attarde à me parler des effets du thé subtil qu’il me sert pour ne pas avoir à m’en dire plus sur sa « quête du Graal » ; Peter Klasen guette du coin de l’œil ma réaction devant la représentation d’un visage renversé de femme aux paupières closes et au sourire, disons, équivoque.

Mon semi-amateurisme explique la nature de mes souvenirs. Je trouvai Iris Clert dans sa minuscule galerie, raccordée à la rue par un de ces longs et étroits couloirs qui traversent certains immeubles de la rue du Faubourg-Saint-Honoré et qui mènent, à l’arrière des enseignes prestigieuses, aux commerces de seconde catégorie. Elle me parla de Roy Adzak, de Stevenson et d’Uriburu, se plaignit de l’ingratitude des artistes, plus pour s’ajuster à son personnage que par véritable ressentiment, et m’expliqua son concept de « décrochage » qui consistait en une présentation d’œuvres en vrac afin de laisser au collectionneur l’illusion de découvrir par lui-même des trésors. Elle était gentille, moins exubérante que sa chevelure noire ondulée, légèrement décoiffée à la manière des stars italiennes, pouvait le laisser craindre. Si j’avais eu plus de connaissances, j’aurais eu plus de curiosité et j’aurais profité du rendez-vous pour l’interroger sur son passé, je lui aurais fait raconter l’exposition du Vide d’Yves Klein dans sa galerie de la rue des Beaux-Arts, dix ans auparavant. Or, je ne l’ai pas fait, simplement parce que je savais à peine qui était Yves Klein, il n’avait pas du tout à



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